Paul Kagame resserre sa poigne sur le Rwanda
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A l’approche de la présidentielle d’août, la répression s’accentue contre ceux qui veulent faire entendre une autre voix que celle du chef de l’Etat. La semaine passée, des manifestations hostiles au pouvoir, les premières depuis le génocide, ont débouché sur des dizaines d’arrestations

Taciturnes et disciplinés, des militaires en treillis et armés patrouillent désormais dans Kigali. La capitale du Rwanda est en train de perdre ses galons d’agglomération la plus sûre d’Afrique. Depuis le début de l’année, une série d’attentats à la grenade ont ébranlé la ville aux huit collines. Leurs auteurs n’ont toujours pas été identifiés. Le soir du 24 juin, le journaliste Jean Léonard Rugambage, du bimensuel critique Umuvugizi (actuellement suspendu), était tué devant sa maison du quartier populaire de Nyamirambo.

Dépôts de candidatures

La même journée, des manifestations hostiles au pouvoir, les premières depuis le génocide, ont débouché sur des dizaines d’arrestations. La date était symbolique: elle marquait le premier jour du dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle du 9 août prochain. Le président sortant Paul Kagame, candidat de la coalition dirigée par le Front patriotique rwandais (FPR), brigue un nouveau mandat de sept ans. Seuls «challengers» à ce jour: le vice-président du Sénat, Prosper Higiro, et son homologue de l’Assemblée nationale Jean-Damascène Ntawukuriryayo, dont les partis respectifs soutiennent la coalition FPR…

Aussi, Victoire Ingabire n’hésite pas à parler de «mascarade électorale». Revenue d’un long exil aux Pays-Bas, cette réelle opposante n’est toujours pas autorisée à participer au scrutin ni à enregistrer son parti FDU-Inkingi, car elle doit répondre d’accusations de «négationnisme» et de «participation à une organisation terroriste». Elle est actuellement assignée à résidence.

En l’absence de sondage, difficile de mesurer sa popularité. Les Rwandais ne la connaissent guère, si ce n’est par les émissions de la BBC (la chaîne française RFI reste suspendue malgré la reprise des relations diplomatiques entre Kigali et Paris). Paul Kagame, lui, continue de susciter un mélange d’admiration et de crainte. Personne n’ose le critiquer, mais chacun reconnaît que le pays est en plein essor. Le Rwanda devient ainsi un des pays les plus «numérisés» du continent. Le long des routes et même des pistes, des centaines d’ouvriers sont en train de creuser les tranchées qui accueilleront la fibre optique.

«Ingabire tombe comme un cheveu dans la soupe», n’hésite pas à dire un diplomate occidental, qui lui reproche de faire campagne «comme si elle était aux Pays-Bas». Elle s’est notamment permis de faire des déclarations «à caractère ethniste» lors de sa visite au mémorial de Gisozi, qui commémore le génocide de 1994, alors que la distinction entre Hutus et Tutsis est désormais passible de poursuites. Elle n’est pas seule à encourir les foudres du régime. Deux autres opposants, Frank Habineza, du Parti vert démocratique (non autorisé) et Bernard Ntaganda, du Parti social-Imberakuri, sont également dans le collimateur des autorités. Celui-ci est actuellement détenu au secret par la police.

Restrictions de la liberté d’expression

Paradoxalement, ce sont les Etats-Unis, les plus proches alliés de Kigali, qui se montrent aujourd’hui les plus critiques face aux «actions inquiétantes» visant à restreindre la liberté d’expression. Ils ont notamment réclamé la libération immédiate de l’Américain Peter Erlinder, avocat d’Ingabire, arrêté le 28 mai au Rwanda pour propos négationnistes. A la télé rwandaise, on a pu le voir en tenue rose de prisonnier, menotté et hagard après une tentative de suicide aux médicaments. Il a finalement été libéré trois semaines après.

A l’approche des élections, les rivalités s’exacerbent aussi dans les cercles du pouvoir, au sein même des Tutsis anglophones. Des généraux ont été récemment arrêtés, comme Karenzi Karake, ancien numéro deux de la mission de paix déployée au Darfour. D’autres sont partis en exil en Afrique du Sud, comme les généraux Patrick Karegeya, ancien responsable du service de sécurité extérieure, et Faustin Kayumba Nyamwasa, qui accuse le président Kagame de corruption à grande échelle.

Kayumba Nyamwasa a fait l’objet d’une tentative d’assassinat le 19 juin dernier à Johannesburg. D’après l’éditeur d’Umuvugizi, l’exécution du journaliste Rugambage serait liée à l’enquête qu’il menait sur cette affaire.

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